dimanche 19 avril 2020

TORTURE 6 les bergers de l'aube


            

Assidûment, le berger guette, il surveille son troupeau. Soudain, les loups montent des profondeurs explosant la surface et l’étincelant d'écailles aux milles reflets. Comme si rien ne c'était passé, le calme majestueux de la montagne efface les dernières preuves.  

        Cette saison, la truite a comme un goût d'amande amère... Pas de session pour moi, voyage oblige et pour vous ? Peut-être 3 jours pour les plus chanceux.
Un mal pour un bien penseront les plus optimistes. En même temps c'est pas faux, rien de mieux que notre absence pour laisser respirer la nature. Quand je parle de notre absence c'est bien une absence totale sans professionnel, sans impact lié à nos activités. Mais ne nous mentons pas, sans les sentinelles que nous sommes il y aura des dégâts et des abus. Espérons tout de même que dans l'ensemble toute cette affaire puisse profiter à la nature. Une croissance optimale des truitelles, une belle fraie du bass et du sandre puis plus simplement un peu de calme au bord de l'eau.

Le grand voyage que nous menons (plus de 11000 kilomètres ) depuis le 15 juillet nous aura fait découvrir énormément d'endroits dont beaucoup sont sauvages. Enfin quoi qu'on en dise l'homme est partout et son impact se ressent où que l'on soit. En France et c'est mon avis, on a un super potentiel, on a de l'eau (pas énormément), on a du poisson mais tout cela stagne dans un sale état ; comme à moitié abandonné.
Une sensation de ne pas faire les choses jusqu'au bout.
« On pourrait mais on fait pas ». C'est con hein ?
Du coup tout le monde est responsable et comme ça tout le monde se tire dans les pattes. Politiques, agriculteurs, pêcheurs pro, pollueurs, gestionnaires, ddtm, fédés, aappma et particuliers. Une belle soupe à la merde où l'on est tous le con de l'autre.
-Prendre de vraies résolutions en matière de gestion.
-Fixer de vraies amendes qui font très mal au cul et qui financeraient une vraie garderie! (Car malheureusement il n'y a que ça qui fonctionne chez nous...)
-Appliquer la loi du pollueur payeur à la hauteur des dégâts !
-Revoir les quotas des prises et instaurer des mailles inversées...

Bref, des idées comme celles-ci fleurissent partout depuis des années et commencent à être mises en place. Mais tout ça n'est que ventass tant que l'on ne s'investit pas en chair et en os dans une aappma.
Les critiques, les guéguerres via internet et les réseaux ne servent à rien et franchement c'est une perte de temps, d'énergie et d'argent. Sérieux on paye du monde pour répondre aux insultes et autres messages débiles. Ouais, ça craint !

Allé on va rester optimistes et se dire qu' on y parviendra ; je l'espère mais en attendant je vais vous conter notre dernière virée du côté montagnard de la truitasse qui me tracasse la testasse !

C'était l'an dernier et comme chaque année nous y sommes allé. Quel plaisir de retrouver cette route et les derniers virages qui annoncent le lac. A travers les branches des résineux les yeux sont rivés sur l'eau.
Où en est le niveau ?
Est-ce que l'eau sera teintée cette année ?

Autant de questions que de bouillonnement dans nos veines ! La pression monte, les yeux brillent, l’excitation nous transperce tellement ce coin nous est cher.

Sur place aucun doute tout semble parfait. Le soleil est au rendez-vous, le lac est plein et l'eau a une couleur incroyable.
Les murs épais en pierre du gîte sont encore bien frais. Une odeur de cendres embaume nos appartements et une légère poussière flotte au milieu des rayons de lumière qui éclairent la pièce.
Juste le temps de décharger la voiture que certains sont déjà doigts tout tremblants à passer le fluoro dans les anneaux.
Les boîtes de leurres jonchent la pelouse laissant s'échapper quelques nouveautés. Une paire de bottes pose fièrement sur le pack de bières et tout ce cinéma gène l'entrée. Ça y est c'est déjà le bordel ; celui qu'on adore.
Du bord comme en float-tube la traque de ces monstres de truites est un défi mental. Il va falloir lancer et lancer encore. Être attentif à la moindre vaguelette en surface et faire preuve d'humilité devant les reines des eaux froides qui nous encerclent. Matos finement préparé, lecture du lac aux petits oignons, points GPS, tout est réfléchis depuis des semaines.
Bien entendu le cadre nous fait oublier les heures sans touche et les retrouvailles autour d'un verre renforcent notre pugnacité. Dans ce genre d'épreuve la frustration est en constant bras de fer avec le souvenirs des poissons exceptionnels des années passées. Puis franchement pêcher pour peut-être une touche dans la journée ne me fait plus peur.
Toute cette semaine nous nous serons levés pour le coup du matin. 

Entrevoir les premiers rayons du soleil. Être là quand la surface est d'huile, la brume s'échappant tel une couverture sur l'eau. Et puis le fracas d'une chasse à un mètre du bord, le cœur s'accélère, les yeux se décollent et de nos fesses laissent s'échapper un petit air chaud et piquant rappelant les grillades de la veilles.
Quel plaisir mes amis !
Alors il faut courir, oui mais pas trop vite car le serpent de cuir est peut-être là ! Lancer avec précision un jerk dans la strike zone, mettre quelques « twitch » et là, sur une pause Booooooommmm !!! La touche !!! Elle est violente et te réveille ! La tresse s'arrache de la bobine, la truite lacustre est là pour se nourrir et sa force est hallucinante ! Les coups de tête sont francs et vous feront tomber un un plombage si votre dentiste est mauvais !
Pour moi, inutile de vous dire qu'elle finira par se décrocher me laissant seul avec un épais mal de ventre. Torture, torture.




Je vais quand-même vous raconter mon jour de gloire. C'est étrange, souvent les dieux de la pêche finissent par se pencher sur mon sort ...

Du coup, journée comme les autres sur la fin du séjour. Nous sommes en mode grosse équipe avec Adrien Flo et même Jb ! Les float-tube fusent d'un spot à l'autre, les jambes sont rodées et répondent tel un 30 cv ! Cette traque nous en fait faire des bornes et à la palme c'est éprouvant.
Comme d'hab la pêche est très difficile lorsqu’enfin on se rapproche d'un spot que j'aime particulièrement ! Mojo !! Mojo !! Il est bien plus moche que le reste du lac mais de bons souvenirs me poussent à m'appliquer. 
Confiant, voir même blindé d’arrogance j'annonce « Poisson » ! Je viens de me faire bachoucher par une mémère de chez mémère ! Il y a 2m d'eau max et la furie m'en fait voir de toutes les couleurs ! J'hurle, je rie, je stresse aussi ! ZZZZzzzzzz fait le frein et les potes l'ont bien compris c'est du lourd ! La mama arrive et zlooop dans l'épuisette ! Excellent, la roue de la torture a tournée et me voilà récompensé ! Une magnifique lacustre hyper grasse d'environ 60/65cm !



Je la relâche et m’avachis sur le fauteuil des mers. Ahhh quel bonheur. 

Je peux enfin lever les yeux et contempler l'environnement privilégié dans lequel nous sommes.
Le groupe s'éparpille sur les différentes berges, pointes et structures. Ça gratte méticuleusement toutes la couche d'eau mais rien. Je décide d'entrer dans une minuscule crique où un petit filet d'eau arrive. Ces zones sont souvent propices à la vie. Développement d'amphibiens, apport d'eau fraîche et de sédiments. Un détour certain pour les carnassiers. Le passage de mon poisson nageur effraie pas mal de petits poissons. Il y a donc de la bouffe.
Assez confiant je ponce, aujourd'hui c'est le jour du poulpe ! J'ai le mojo ! Mais rien ! 
Pffff alors que faire ? Renoncer et retourner pêcher les pointes extérieures ou rentrer jusqu'au bout ? En float-tube la question se pose souvent. On évolue si lentement et tout ça nous prend tellement d'énergie. Finalement j'vais jusqu'au bout ! Tant qu'à y être faisons les choses à donf.
Il y a de moins en moins de fond et l'eau est légèrement teintée.

J'ai entre les mains mon combo Okuma Epixor, une canne 10/30gr de 2m49 qui me permet de lancer loin et de part son action assez souple atténue les coups de tête limitant ainsi les décrochés. Rappelons-le pour moi c'est toujours sans ardillon et une action trop raide n'est finalement pas idéale. En float tube les longues cannes sont gênantes mais finalement on s'y habitue. Pour les 3 autres que j'ai sur le support c'est des casting :
  • Okuma one rod 7/21gr
  • Okuma one rod 10/30gr
  • Savage gear xlnt3 12/45gr
Des cannes très complémentaires !

Revenons à notre partie de pêche ! J'suis donc au fond de la crique et j’effectue mon dernier lancé. Le leurre tombe au raz de l'arrivée d'eau, il doit y avoir 10cm de fond. Quelques tours de manivelle, un twitch, une pause et dans un fracas je prends une boitasse de maboul. Je sursaute tellement je n'y croyais pas. Cramponné à ma canne je maintiens comme je le peux une pression continue sur le poisson. Tout va très vite, trop vite quand le bolide décide de revenir vers moi à vitesse grand V ! Elle me passe sur la gauche, en même temps que se retourne mon embarcation je lève la canne pour éviter les obstacles nombreux ici. Le frein grince et à la vue de cette ombre qui est passée je suis complètement chamboulé. Cette truite est inarrêtable et ma tête doit être sacrément tendu !
Le problème quand on recherche un poisson comme celui-là c'est quand on fini par l'avoir au bout de la ligne. On se sent emparé d'une pression de dingue. Je sens mon cou se serrer, il me faut respirer et éviter de faire de la merde.
J'appelle Adrien à la rescousse mais il est à une centaine de mètres. J'en peux plus. Ce combat c'est de la souffrance tellement je la souhaite dans l'épuisette.
Coups de tête , rushs qui n'en finissent pas, puis, petit à petit l'animal arrive et se livre sur le flanc. La robe est sublime, points rouges au milieu d'une mer de point noirs et cerise sur le gâteau c'est un bécard avec une tête effrayante.
Je fais doucement, il approche, se retourne et repars pour une dernière tentative mais je le contre, lève la canne au ciel et avance l'épuisette au maximum. Je ne respire plus. Une seule pointe de métal me lie au poisson. Une seule pointe à l'extrémité de la lèvre. Autant dire que ça tient par miracle jusqu'à ce que tout s’effondre !

Alors que j'étais sur le point de voir mon précieux rentrer dans la filoche la pression lâcha d'un coup. Je regarde le leurre s'envoler signifiant ainsi la perte de ce trophée !
Mes yeux s'abaissent et le poisson glisse d'un coup de nageoire caudale.
Je descends en enfer, la scène défile dans ma tête jusqu'à cette lourdeur dans l'épuisette !!!! Je n'en reviens pas, elle est allée dedans ! Directement dans cette putain d'épuisette !!!! Dans l'épuisette !!!! Imaginez la scène, les sensations qui me traversent sont disproportionnées. C'est juste un poisson vous me direz mais tout ce qu'on y met... et cette récompense ... cette chance, rend ce moment magique.
Adrien est là. Je ne sais pas ce qu'il a vu du spectacle mais ça y est.
Tout mon corps tremble. Mon dos tout entier est comme transit, mes mains dansent et j'ose à peine croiser le regard de la truite.
Plongeant mes mains dans l'eau je saisis la base de la queue du poisson, laisse glisser ma main droite sous les nageoires pectorales et remonte le bestiau à la lumière ; le temps d’immortaliser ces couleurs et cette puissance.

Vite remis dans son élément, le poisson repart me laissant figé.
Petit à petit mes sens reviennent, le chant des oiseaux est à nouveau audible mais je ne bouge toujours pas. A la fois enivré et paralysé par ce qui vient de se produire je savoure simplement l'instant. Adrien est là pour partager l'affaire.
Passé le temps nécessaire à récupérer je peux enfin re-palmer. Pour moi inutile de continuer la pêche. Je n'en éprouve pas le besoin. La journée s'achèvera comme cela ; la cervelle emmitouflée dans du coton !

Ces histoires sont si rares ; les moteurs subliminaux de notre passion si frustrante. Bien-sur j'adore être simplement au bord de l'eau avec à la clef des poissons bien plus modestes voir même rien du tout.
Bien-sur la pêche ne se résume pas à la capture de poissons records mais les souvenirs que ces derniers nous gravent dans la peau nous rendent encore plus accrocs. Partager ça avec notre famille et nos amis c'est la cerise sur le gâteau, un gâteau merveilleux. Merci














Un visage heureux...