Sur la route, le ton change, le ciel devient plus
noir, les nuages plus menaçants. Les visages se crispent et les muscles se
tétanisent. Notre cap dérive vers un autre monde. Les cannes à mouche souples et
les streamers ridicules sont remballés.
Place à la violence, à l’agressivité, à des centaines
de dents tranchantes prêtes à déchiqueter n’importe quelle ombre faisant office
de proie.
Nous partons à la rencontre de cette force effrayante
des eaux sombres du Québec qui m’a laissée un souvenir immortel ; celui du
sursaut, de l’hésitation face au combat et bien sûr celui d’une sensation
unique. Celle de ne plus rien maîtriser.
La pêche du maskinongé appelé musky côté anglophone
est spéciale. Apparentée à celle du brochet elle demeure tout de même bien plus
physique. Les leurres pour la traque de ce poisson pèsent entre 100 et 500
grammes, les cannes et moulinets utilisés se doivent d’être très robustes et par
conséquent bien lourds. Quant à l’attaque de ce poisson, elle est souvent
déclenchée par une vitesse d’animation très rapide.
Pour en rajouter un poil, ici au Québec on le surnomme
le poisson aux 1000 lancés. Patience et acharnement seront de bons alliés pour
tenter de voir le visage de ce monstre mystique.
Sam, que j’ai rencontré l’an passé nous attend pour
une semaine de pêche. Je vous laisse donc imaginer la journée type. Lancer des
parpaings avec des manches à ballets le plus loin possible et ramener comme un
cabourd. Et ça, pendant une semaine….
Arrivés sur place, rapide visite de notre nouveau
logement : un petit chalet perdu dans une ripisylve bien dense à quelques
pas d’une mise à l’eau donnant sur l’immensité du fleuve Saint Laurent. Nous sommes surexcités
au plus haut point. A force de parler de ce poisson et de ressasser toutes les
histoires de fous à son propos nous en devenons malades. L’adrénaline ne fait
que monter, nos mains, nos doigts, nos genoux, nos cheveux tremblent. Sam nous raccroche à
la réalité d’un :
– « Bon les boys vous êtes
prêts ?!!!! »
C’est donc parti pour un coup du soir.
On prend une canne chacun, trois leurres et
GO !!! En deux secondes le bateau est à l’eau et le moteur thermique
ronronne vers les premiers spots.
Sur le chemin, notre capitaine nous explique
le programme des journées futures. En fait nous alternerons entre pêche à la
traîne et du « cast ». En gros la traîne nous permettra de couvrir du
terrain pour repérer les poissons et accessoirement nous reposer. Puis sur
certaines zones bien marquées nous pourrons lancer et lancer encore jusqu’au
démembrement. "Ok, ça nous va !"
Le fleuve est vraiment impressionnant, on a du mal à
évaluer sa largeur. D’énormes navires passent en plein milieu, tentant d’éviter
les bancs de sables de la voie navigable la plus dangereuse au monde.
Lentement nous arrivons dans un renfoncement plus sauvage.
Le courant est bien moins soutenu. C’est le moment de faire nos premiers
lancés. On règle le frein des moulinets et l’échauffement des épaules poignets
coudes abdos dorsaux, tout le corps QUOI est bien entamé !
Les conseils de Sam sont assez expéditifs :
-« Lance loin et ramène le plus vite possible… »
Ah oui, ne surtout pas oublier la figure 8 avant de
sortir le leurre de l’eau. En cas de follow (suivi), restez quasiment immobile,
maintenez une allure constante, plongez le scion de la canne dans l’eau et
faites faire un demi-tour au leurre en direction de la gueule du Musky. S’il ne
prend pas au premier passage, continuez de remuer la soupe en faisant de grands 8.
Si le poisson s’empare du leurre, envoyez un
ferrage musclé, appuyez sur la gâchette du moulinet pour libérer du fil en
maintenant la pression sur la bobine avec le pouce. Vous m’avez compris ??
Même si j’ai réussi à le faire l’an passé, j’imagine l’embrouille dans ma tête
si ça arrive à nouveau. Il va falloir garder son sang-froid et faire preuve de lucidité…
On pêche désormais depuis une bonne heure sans
observer la moindre activité. La nature semble très paisible. De nombreuses
oies bernaches se sont posées au loin quand j’entends « Follow,
follow !!!! » Sam nous fait signe de ne surtout pas bouger, il se
baisse légèrement, entame sa figure 8 et dans un énorme remous envoie un
ferrage de bucheron qui débutera un combat de folie. Sa canne est pliée, le poisson se débat
à 1m50 du bateau. On hallucine de la violence de l’action.
-« Le net, le net !!!! » Bordel c’est
l’épuisette le net ! Cossec se jette dessus, la plonge dans l’eau pile au
moment où Sam remonte le poisson et c’est dedans !!!!
YEEEESSSSSSSS !!!!
Nos cœurs battent super fort, l’adrénaline nous
submerge. Il faut maintenant faire vite, les muskys dépensent énormément
d’énergie durant les combats. Sam coupe avec une grosse pince les branches des
triples pour libérer le poisson sans dommage. Il fait ça avec le fish dans
l’épuisette, dans l’eau. Ensuite il le sort avec précaution. Mesure, photo et
ré oxygénation. Le poisson a dû rester hors de l’eau moins de 10 secondes. Ca va très vite, on a du mal à suivre.
Sans aucun souci le monstre repart dans son élément.
On prend le temps de s’assoir, on en a bien besoin. Une bière fraîche nous
permettra de nous poser, de relever la tête et d’admirer le cadre magnifique
dans lequel nous avons la chance d’être. C’est beau, c’est à nouveau calme mais
maintenant on en est sûr ; nous sommes dans une véritable arène.
Il est temps de rentrer doucement en pêchant à la
traîne. On va se caler au chalet manger une bonne grillade et se coucher de
bonne heure !
Le lendemain, on attaque très tôt et à la traîne. On a
pas mal de nouvelles zones à prospecter. Deux gros jerks nagent à des
profondeurs différentes pour accentuer nos chances de prise.
Au bout d’une heure et demie de balade, les membres
engourdis, notre somnolence est brisée par le frein du moulin qui se met à
hurler ! ZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZ
Sam se jette sur la canne, envoie un
ferrage et passe la canne au Cossec !
Il est aux anges ! Tant bien que mal il amortit les gros coups de
tête du poisson, enfin du monstre. J’ai déjà l’épuisette en main prêt à
récupérer le bestiau. Il est énorme, on n’en revient pas. Dans ce genre de
moment tout va très vite, la moindre erreur peut s’avérer fatale mais c’est
sans embuche qu’on arrive à maîtriser ce fabuleux maskinongé. FADA! On éclate de
rire face à la longueur de l’animal. Ils sont deux à le tenir pour la photo. C’est
n’importe quoi, cette pêche rend bête!! J'hurle, je danse, je bave.
Le ton est donné, on sait qu’ils sont bien là;
affamés. On décide de pêcher une grande zone d’herbiers. Le moteur est arrêté
et le vent nous permet de dériver lentement. C’est le moment de balancer du
gros leurre !
Plllouff, pllloufff, la zone est littéralement bombardée par
nos lancés répétés. Cossec crie « poisson ! », ça bataille pas
mal mais c’est bizarre… C’est en fait un achigan à petite bouche qui est venu
taper dans son leurre. Quelle voracité !!!
La folie continue et continuera
comme ça durant trois jours, trois jours à peu près identiques. Pas mal de
poissons seront pris à la traîne dont une maman sortie de la préhistoire. Sam nous donnera une vraie leçon en figure 8 et des
brochets avec les yeux plus gros que le ventre viendront me consoler.
C'est fait!! La voilà sa mère!!! |
Je revois encore la tête d’Arnaud lors des follows, il
semble à chaque fois hypnotisé par la pression qu’impose de tels suivis. Faut dire
que c’est très stressant, on ne sait jamais quand ça va arriver et quand sous vos yeux un
poisson d’1m30 vient coller son nez à votre leurre croyez-moi, vous en avez les fesses
qui font bravo !
On arrive aux derniers jours de la semaine et
malheureusement pour nous les conditions climatiques vont subir de gros
changements. Un front froid accompagné de vent et de pluie nous décidera à
changer de zone. Le fleuve Saint Laurent est grand, infiniment grand. Une fois
de plus nous profiterons d’un cadre magnifique et d’une ambiance de folie sur
le bateau de Frank !!
Merci Frank!! |
Le mauvais temps finira quand même par nous
rattraper, on vient de perdre plus de 10 degrés et le vent du nord nous ordonne
de fuir ; ça tombe bien on part chez Thomas, à environ 400 kilomètres pour
la suite de notre aventure !
Cette semaine sera passée comme un coup de pied au
cul. Autant pour la vitesse à laquelle elle aura défilé que pour la violence
éprouvée durant le séjour. Ce poisson c’est de la folie, sa pêche est vraiment à part.
On en
veut plus !! J’en oublie même que je n’aurais pas eu la chance de capturer un musky en une semaine intense. Ça remet les pieds sur terre et
ça montre aussi que même au Québec il ne suffit pas de tremper un leurre dans l’eau
pour faire du poisson.
Ceci dit, on aura vu des monstres et pour chaque prise le plaisir fut partagé dans tout le bateau.
Ceci dit, on aura vu des monstres et pour chaque prise le plaisir fut partagé dans tout le bateau.
La pêche du musky c’est un travail d’équipe mais
croyez-moi, je n’ai pas dit mon dernier mot !!!
Un grand merci à Sam pour ces longues heures magiques passées au bord du fleuve!
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